Q. Vous êtes à la fois une artiste très engagée et une religieuse pieuse. Quelle a été la relation entre ces deux importantes vocations de votre vie?
R. Enfant unique jusqu’à l’âge de sept ans, j’aurais voulu aller jouer avec les amis voisins un peu trop souvent, selon ma mère. Pour m’encourager à rester à la maison et à m’amuser seule, elle me rappelait mes beaux crayons à colorier et le plaisir que je prenais à dessiner. Quand Jeanne Léger, artiste et excellente copiste de notre région, nous visitait, Papa ne manquait pas de me dire : «Vas donc chercher ton cahier de dessin pour le montrer à Jeanne.» Et Jeanne disait toujours : «C’est comme ça que Jeanne a commencé». En me berçant, mon Père rêvait souvent tout haut: «Quand Marie sera grande, Papa l’enverra en Europe pour prendre des leçons de peinture comme Jeanne Léger.» J’avais dix ans quand Jeanne est venue offrir à mes parents de m’amener à Bouctouche avec une petite amie, où elle ouvrait une classe d’art. Ce fut un des plus beaux jours de ma vie. Et je suis devenue bonne copiste à mon tour. Du côté religion et vie spirituelle, j’en avais déduit que «faire la volonté de Dieu» était exigent. Je me posais bien des questions sur le sens de paroles paradoxales que j’entendais au catéchisme et aux sermons à l’église. Mais je me disais que je finirais par mieux comprendre plus tard.
À seize ans, je terminais mes classes secondaires et ce fut le temps de prendre des décisions. Certains signes me faisaient croire que j’étais appelée à la vie religieuse. Après réflexion, j’entre au Noviciat avec l’idée que si Dieu me voulait ailleurs, Il me donnerait d’autres signes. Moi, j’y voyais la meilleure manière de répondre à la volonté de Dieu. Depuis ce temps, je suis toujours restée à l’affût du sens et des signes que la vie m’offrait, au cas où… Pendant mes années de formation, on me demande d’aider une sœur artiste malade, tout en lui donnant la consigne de m’initier à du plus personnel, tel le dessin d’observation et la nature morte; ce qui me convenait tout à fait. À la sortie du Noviciat, après la consultation d’usage sur nos aptitudes et intérêts personnels, on me suggère de faire mon Ecole Normale et de suivre des cours d’art pendant l’été, ce qui me permettrait de voir si je devais aller étudier aux Beaux-Arts plus tard. – Je n’étais même pas au courant qu’une école d’art existait…
En 1967, après cinq années d’études et une expérience en enseignement, je me dirige vers l’École des Beaux- Arts de Montréal afin d’obtenir une formation en Education artistique pour enseigner l’art dans les écoles publiques de ma province, en particulier, dans le comté de Kent, trop longtemps défavorisé en éducation. À l’Ecole des Beaux-Arts, qui deviendra le département d’art visuel de l’UQAM en 1968, je découvre la sculpture. Je suis comme un poisson dans l’eau! On m’encourage donc à choisir la sculpture comme option et la pierre devient ma première concentration. À l’occasion d’une exposition de nos travaux, un collègue me dit: « Dommage que tu sois une sœur, tu pourrais devenir une artiste professionnelle.» Il ajoute que je ne serais pas assez libre en communauté pour y arriver. — L’anticléricalisme battait son plein, et comme la plupart des religieuses de l’époque je m’étais questionnée sur la raison d’être de ma vie religieuse. – Ce fut l’occasion d’une prise de conscience importante pour moi. Il est devenu clair dans mon esprit que si je n’arrivais pas à être assez libre pour devenir une artiste en communauté, c’était un signe que je ne n’étais pas à ma place en communauté. J’avais déjà compris l’exigence d’une certaine liberté intérieure, d’un lâcher-prise, pour arriver à une création artistique authentique.
Depuis ce temps, plusieurs questions ont été répondues, plusieurs aspirations et énergies ont trouvé une canalisation. En cours de carrière, j’ai pu expérimenter que ces deux vocations se sont entremêlées, influencées, supportées et nourries mutuellement, et elles le font encore. Aussi, ma création artistique démontre actuellement, que le «sens» et le «signe» jouent un rôle considérable dans l’expression de mes œuvres.
Réponse de Marie Hélène Allain à la question de Terry Graff
en préparation pour l’exposition rétrospective 2011