Je suis née à Sainte-Marie de Kent au Nouveau-Brunswick. Mes parents font partie des braves fermiers acadiens.
La nature a sans doute été un des premiers éléments qui a marqué ma vie artistique. Elle s’imposait d’elle-même par les vues panoramiques qu’elle offrait: par ses champs de trèfle, de foin, d’avoine dorée, par sa rivière qui les sillonne.
Mais j’affectionnais particulièrement les animaux: J’en ai passé du temps assise sur les marche-pieds à regarder les petits agneaux danser dans la cours de grange, à caresser les chats, mon chien. J’avais peur des oies, mais j’admirais leur grâce de loin… Je n’oublierai jamais l’intérêt et la détermination que je déployais à préparer mes veaux pour l’exposition agricole.
Ma mère me raconte qu’elle m’assoyait sur une couverture au milieu des trèfles, quand j’étais bébé, pour favoriser la joie que je prenais à les cueillir. J’ai admiré, pendant de longs moments, l’habileté de maman à dessiner des patrons de tapis et de couvertures. Elle m’a encouragée plus d’une fois à dessiner pendant les périodes où je me sentais seule à la maison.
Mon père, lui, avait des réflexions contemplatives qui m’impressionnaient: «Regarde comme c’est beau un champ d’avoine dans le vent…» «C’est beau des animaux dans un champ, hein? Ça met de la vie…» «Un tracteur, c’est commode, ç’a de la puissance, mais ça remplacera jamais, en beauté, une belle team de chevals. Ça, ça d’la vie…»
Quand Jeanne Léger, l’artiste, venait à la maison pour acheter de la viande ou des tapis, mes parents ne manquaient pas de me dire: «Marie va donc chercher tes cahiers de dessins pour les montrer à Jeanne.» Jeanne, à son tour, me disait: «C’est bien comme ça que Jeanne a commencé.» Et quand je m’assoyais sur les genoux de mon père les soirs, il rêvait tout haut: «Ouais, quand Marie sera grande, papa l’enverra en Europe pour étudier la peinture comme Jeanne Léger.»
À l’école, dans notre unique classe de huit grades, c’était souvent moi qui dessinais au tableau à l’occasion des fêtes.
J’avais dix ans quand Jeanne Léger est venue offrir à mes parents de me donner des leçons de peinture. J’étais aux oiseaux. (Mlle Léger était une excellente copiste; elle avait étudié les grands maîtres de la peinture en Europe.) J’ai suivi ses cours avec grand intérêt jusqu’à mon entrée au Noviciat. Là j’ai trouvé des personnes qui m’ont orientée vers une expression plus créatrice. J’ai suivi des cours d’art au Collège Notre-Dame d’Acadie à Moncton et à Kingston, Ontario, et en 1966 j’obtenais un baccalauréat ès arts de l’Université de Moncton. En 1967, j’entrais à l’École des Beaux-Arts de Montréal et en 1971 j’obtenais un baccalauréat spécialisé en arts plastiques avec option en sculpture de l’UQAM. C’est là que j’ai découvert ma sensibilité à la ligne et à la forme, et, aussi, que la pierre était bien mon champ d’action. En 1978, j’ai travaillé pendant six mois en Italie, le pays du marbre. Ça m’a permis de me situer davantage, de faire de nouvelles options.
La pierre est un matériau dur, qui me résiste et m’oblige à dire des choses avec plus de précision et de clarté. La pierre est complice de mon fonctionnement lent et rêveur. Avec elle, le dialogue a le temps de s’établir…
Quand je commence à saisir le caractère d’une forme dans la pierre, je me dois d’y rester fidèle jusqu’à ce qu’il aboutisse à son développement. Je perçois cette sculpture en formation, comme quelque chose de vivant qui cherche à se libérer du bloc, comme un poussin de sa coquille, par exemple. Je ne contourne pas une forme vide et sans vie; je sens plutôt ma sculpture du dedans, comme un être qui se forme soit par des poussées intérieures, telles des tensions d’os, de muscles, soit par des pressions extérieures, telles un rocher, un glacier.
J’essaye de rester attentive à ce nouvel être qui se dégage de la pierre; si je réussis, mon œuvre sera unifiée, autonome, elle parlera d’elle-même… Mais ne me demandez pas «qu’est-ce que ça représente…»
Marie Hélène Allain
tiré de ses cahiers, la semaine du 11 novembre 1981
imprimé dans les pages du quotidien L’Évangéline