Paraboles de la pierre
Texte de Peter J. Larocque
Les vingt œuvres de cette exposition laissent présager les préoccupations de la sculpteure Marie Hélène Allain (n.d.s.c.), qui habite à Sainte‑Marie‑de‑Kent, village pastoral situe dans le comte de Kent, au Nouveau‑Brunswick. Cette nouvelle exposition tire son origine, en grande partie, des sculptures qui ont marqué sa carrière dans les années 70 et 80, et qu’on trouve ça et là dans sa province natale et ailleurs. Ces œuvres étaient essentiellement des combats entre l’artiste et la pierre, où l’on invitait le public à observer et à contempler le triomphe de chaque lutte de création. Par l’intermédiaire de ses œuvres les plus récentes, cependant, l’artiste a tracé un nouveau chemin et adapte son approche. En effet, Marie Hélène fait davantage appel à l’intuition et aux sentiments, ses œuvres sont moins formelles, et la réaction de son auditoire s’est transformée. Grâce à cette nouvelle approche, le public, au lieu d’examiner les principes formels de la sculpture moderne classique, est prié de s’approcher des œuvres, voire d’interagir avec elles. Cela permet d’éliminer le sentiment habituel de déférence qu’ont les gens et de les inciter à établir un contact direct et intime avec les œuvres.
La plupart des artistes désirent exprimer, par l’intermédiaire de leurs œuvres, l’importance d’une idée ou d’une croyance qu’ils ont ou qu’ils ont découverte. Cela dit, que signifie Une pierre pour toi? Chacune des nouvelles œuvres de Marie Hélène reflète l’inspiration que lui ont donnée certaines pierres. Pour elle, la pierre a une présence immense, elle est la sentinelle de la dignité et de l’endurance dans la lutte pour la survivance et la continuité. Sa façon de sculpter, de ciseler, de polir, de frotter et de vernir ses œuvres laisse entrevoir les forces irrévocables de la nature et du temps: érosion, oxydation et détérioration, ainsi que renouvellement et évolution. Les autres éléments intègres à ses œuvres révèlent des histoires jamais racontées, des relations latentes et des changements imminents. En effet, Marie Hélène a créé une série d’équivalences, de parallèles symboliques et de métaphores qui reflètent ses observations et son expérience personnelle et qui transcendent le particulier et deviennent, de ce fait, universels.
On trouve an cœur de l’exposition l’étoffe reliant l’artiste, l’œuvre et le public. Tous ont un rôle à jouer dans cet échange continu. C’est Marie Hélène qui joue le rôle de catalyseur dans la métamorphose du concept originel et des matériaux disparates en une sculpture complète. Sa formation et sa sensibilité lui permettent de transformer ses histoires, ses souvenirs et ses rêves en thèmes universels. Dans un sens, l’artiste joue le rôle de suppliante, prête à interagir, selon que le public décide de participer ou non à son dialogue. Dans un autre sens, l’artiste maîtrise l’échange, le manipulant grâce à son choix de matériels, de techniques et de concepts. Ce qui caractérise Marie Hélène ‑ sa féminité, sa famille, sa communauté, sa religion, sa culture ‑est représenté dans ses œuvres par la relation générale entre idées et matériaux, inspiration et choix. De fait, elle se représente dans bon nombre de ses œuvres au moyen de fils de cuivre ou d’aluminium incrustés, des ruisseaux d’énergie, qui creusent et sondent la surface de la pierre. Son rôle a ainsi été incorporé au concept global du temps, où l’intervention humaine n’est qu’une autre action sur la pierre. Ses œuvres laissent entrevoir, toutefois, des vestiges de sa personnalité. En effet, Marie Hélène possède un sens de l’humour manifeste et une humeur capricieuse, comme on peut le constater avec l’œuvre Présente, un costume de fanfreluches suspendu qui faisait partie de l’exposition Présence 27 et a été réalisé pour marquer de façon importante sa participation à cette exposition récente sur la créativité des femmes artistes de la région. Sa méthode de travail fait appel à son sentiment d’appartenance à la communauté et d’engagement envers celle-ci ; elle cherche la collaboration d’autrui dans la réalisation de ses œuvres, notamment en cherchant l’aide d’entrepreneurs locaux et en intégrant les objets ‑ des pierres, des morceaux de bois et du métal ‑ que sa famille et ses amis ont trouvés par un heureux hasard.
Souvent, ce que dégage une œuvre est aussi important que ce qu’elle cache. À l’intérieur de la vie secrète des pierres, au sens large du terme, on trouve le thème récurrent de la rencontre et de l’interaction des forces humaines et naturelles. Collection d’essais tridimensionnels (qu’ils soient une narration, une description ou un exposé), ces œuvres documentent notre relation avec l’environnement et, par extension, avec les autres. Figées dans un instant donné, les pierres symbolisent non seulement la durabilité et la continuité, mais aussi le potentiel féminin de la terre. Habituellement, la pierre est inerte et impénétrable, mais, dans son état actuel, extraite de son environnement naturel, elle est devenue un objet trouvé, plein de vie et prêt à subir toute intervention humaine. Cela n’est donc pas une coïncidence si les œuvres de Marie Hélène ont des proportions humaines ‑ elles ont une présence et une personnalité auxquelles nous pouvons immédiatement nous identifier. Toutes ses œuvres contiennent un équilibre délicat, et le geste de chercher, ou de tendre la main, caractéristique des œuvres de Marie Hélène, demeure. Dans certaines, telles qu’Apprendre, l’intégration évidente de métaux raffinés, peut‑être extraits de la pierre elle‑même, est synonyme d’énergie, de technologie et d’intervention humaine. Le fil d’aluminium fin, quant à lui, fait également allusion au rôle de l’artiste, inspiré à créer une œuvre en donnant un tout autre sens à la matière. Dans Coop limitée, on ressent une sensibilité totalement différente. Au milieu de la boue fossilisée d’une construction fracturée et apparemment abandonnée, les empreintes animales et humaines ne sont que de simples impressions d’un phénomène ou d’un événement étrange. Dans d’autres œuvres, comme Une pierre pour toi et Oelaalin – Merci, des morceaux de bois ou de métal taillent la pierre, emportant avec eux un fragment ou une relique du combat… un don ou un projectile éventuel? Dans Spectres de la baleine et Histoire mystérieuse, les entailles précises et manifestement travaillées marquant la surface et la disposition des vestiges de pierre renforcent la notion de vies antérieures mystérieuses. Les éléments métalliques intégrés à Danser sa liberté ou Suite d’un rêve et à Paradoxe constituent de vifs souvenirs de luttes déchirantes: l’une de la dignité de l’homme, l’autre du massacre incompréhensible de quatorze jeunes femmes à l’École Polytechnique de Montréal en décembre 1989.
Cette exposition est destinée au public qui est prêt à interpréter l’ambiguïté des œuvres. En effet, le public fait partie du processus touchant l’interprétation des sculptures. Cependant, il est impossible de contourner la prémisse insistante que cet art nous incite à nous améliorer moralement, spirituellement et intellectuellement. Lorsqu’on interprète les œuvres de Marie Hélène, il faut s’attendre à tout et chercher activement des parallèles avec ses propres expériences, souvenirs et rêves. Il s’agit d’une notion romantique plutôt que d’une réaction analytique. Le contrat entre le public et l’artiste se définit comme un acte de foi. La façon dont cette nouvelle force modifiera les œuvres dépend du temps ‑ un autre risque nécessaire dans la communication d’un message.
Peter J. Larocque conservateur, art et histoire culturelle du Nouveau‑Brunswick