Dans sa nouvelle série d’œuvres, Poèmes sculptés, Marie Hélène Allain façonne ses matériaux privilégiés – pierre, bois et métal – pour évoquer la détermination, l’aspiration et la potentialité. Dans ce projet, elle a pour objectif d’examiner les « soifs universelles » qui marquent l’expérience humaine, ces soifs qui répondent à nos besoins fondamentaux sur le plan physique, mental et spirituel. Allain va plus loin en nous proposant des points de départ vers la contemplation de notions telles que l’appartenance, la compréhension et le potentiel.
Ces sculptures s’inscrivent dans la continuité logique de la pratique artistique d’Allain. Elle organise et réorganise, modifie et reconvertit la matière, les formes et les symboles qui exemplifient son style : dans la pierre et le bois, les substances fondamentales de l’existence matérielle; l’énergie créative dans la fabrication du cuivre et de l’aluminium, l’œuf qui est tout promesse, le livre de la lucidité. Elle intègre ici de subtiles références à certains détails autobiographiques et à plusieurs de ses œuvres antérieures.
Soif de vivre est l’œuvre la plus formelle de cette exposition. Faite d’aluminium et de pierre, tous deux arrachés à la terre, elle juxtapose un élément usiné, raffiné et modelé à une matière naturelle soigneusement poncée, coordonnée et équilibrée. Par la taille, la forme et l’orientation des éclats de pierre, Soif de vivre établit une trame dynamique que vient renforcer le contraste entre les surfaces polies et les rebords à vif, entre le grain piqueté et les stries bien apparentes. L’équilibre étudié de la sculpture se confirme dans la forme ovoïde qui la surmonte, à la fois délicatement sertie et en aplomb précaire.
Qui se ressemble se rassemble nous ramène aussi au monde naturel mais fait penser à un spécimen botanique tiré d’un ancien herbier. D’un sol austère et obstiné, une inexplicable fécondité a fait surgir la richesse improbable d’un jardin densément emmêlé. Le fil ondoie et sinue à la surface pour recueillir les œufs, gousses ou bourgeons qui sont le fruit de tout cet effort. La patine corrodée des feuilles de métal nous parle de temps immémoriaux.
Dynamique et fascinante, Devenir fait concourir la pierre, le métal et le bois en suggérant, dans leur fusionnement intime, une plante primordiale. La spirale se développe dans une tension et une énergie qui aboutit à un réceptacle plutôt informe rempli d’œufs, de graines ou de spores – garants d’une promesse infinie et d’innombrables possibilités. Croissance et évolution sont la clé de cette œuvre. De petits cailloux semblent s’être peu à peu détachés tandis que l’œuvre croissait, et continuent de se déverser de la faille à son pied, pendant qu’un mince fil de cuivre serpente aux confins de l’impressionnante structure et la circonscrit.
Savoir évoque le milieu bâti : une architecture ou un mobilier relevant d’une géométrie plus stricte. De multiples points de vue sur l’extérieur et l’intérieur nous sont présentés simultanément. Des livres en pierre reposent parmi des bouts de corniches aux plans et courbes lissés encadrant une colonne en taille brute. Quel savoir, quelle sagesse sont rassemblés dans cette bibliothèque imaginée? On les discerne dans le symbole gravé par deux fois sur la colonne : une plante stylisée portant un bourgeon parfaitement ovoïde. Au sommet de cette sculpture, s’agrippe une forme idéale – un œuf sans défaut. Est-ce du décor, ou serait-ce le but?
La référence est plus directe dans Les auxiliaires, qui décrit un lieu où apprendre. On n’a qu’à remarquer le fragment de tableau noir qui porte du texte et des notations mathématiques, supporté par des traverses de bois et des blocs de pierre formant un substrat robuste. L’agencement des éléments esquisse l’impression d’un souvenir personnel, authentique ou inventé. À la base de l’œuvre s’entassent des fragments de matière, de couleurs, de textures qui fonctionnent comme aide-mémoire pour le déjà vécu et porte-bonheur pour l’avenir. Malgré son ambiguïté apparente, rien n’est laissé au hasard dans cette œuvre. Un objet venant ponctuer cette vignette pourrait ressembler à une plante en pot, comme on en cultiverait dans une classe. Certains de ses bourgeons en forme d’œuf s’allongent dans l’accomplissement alors que d’autres se sont étiolés en un vain effort.
L’inspiration et la matière sont communes à toutes les sculptures de cette exposition et chacune illustre la soif perpétuelle de savoir et de sagesse chez Allain. L’ambiguïté des histoires qu’elles ébauchent interroge davantage qu’elle ne renseigne. Si elles décrivent l’ambition et la lutte, ses œuvres nous laissent également dans le doute et l’incertitude. Elles évoquent l’éphémère et l’irréversibilité du temps qui s’écoule. Les œuvres que rassemble cette exposition, chacune dans sa force et son individualité, révèlent l’infinité des choix dans une quête nécessaire pour comprendre la complexité de nos motivations, de notre âme et de notre être.
Peter J. Larocque
Traduction : Monique Arseneault
Publié avec l’autorisation de l’auteur