La salle de l’exposition est plongée dans un doux éclairage qui met en relief la douceur des sculptures. On a l’impression d’entrer dans un monde d’une extrême délicatesse. Disposées en mosaïque, les vingt œuvres nous attendent. Ainsi se présente au visiteur la très belle exposition Une pierre pour toi de Marie Hélène Allain présentée au Musée du Nouveau‑Brunswick à Saint-Jean.
En collaboration avec Marie‑Hélène Allain, le conservateur Peter J. Larocque a choisi de tracer un portrait de la production récente de cette grande sculpteure. Ainsi, on y retrouve des œuvres qu’elle a déjà présentées ailleurs et d’autres qu’elle nous offre pour la première fois. Une rare occasion d’admirer son cheminement depuis 1993. Un catalogue fort bien présenté et un dépliant reproduisant en couleurs toutes les pièces permettent de souvenir.
Le titre de l’exposition est aussi celui de la sculpture qui appartient au Musée. Un délicat tronc d’arbre qui semble naître de la pierre qui le supporte et dont le sommet ressemble à une tête de cygne. Sur cette tête, une pierre à peine travaillée, repose à demie enfouie. Offrande à la nature, offrande au regardeur, offrande à la vie. Car c’est de la vie dont il s’agit ici. Marie Hélène Allain aime la pierre et elle la traite avec respect, limitant ses interventions pour en faire ressortir ce qu’elles ont à « dire ». Pendant longtemps, elle travaillait en taille directe’ créant des monolithes. Puis, lentement, d’autres éléments naturels ‑bois, métal, sont venus nourrir la pierre ce qui l’a conduite à l’assemblage, caractéristique fondamentale des sculptures de cette exposition. Dans le catalogue, elle écrit: « Cette exposition montre une série d’œuvres non semblables, mais des œuvres qui ont en commun une pierre qui, après avoir été détachée de sa niche originale, puis cassée, taillée, usée, agencé à d’autres matériaux, a contribué, de quelque façon, à donner vie à une autre pousse. Chaque pierre en montre ici évoque une transformation accompagnée d’une force qui la meut, et chaque sculpture est, en quelque sorte, une variation sur un même thème. Je désirerais que mon exposition soit suffisamment éloquente pour que chacune et chacun de ses visiteurs puisse se dire, ici, il y a une pierre pour moi.»
Les titres des œuvres sont évocateurs de leur sens et de la métaphore qu’elles incarnent. Ainsi cet Hommage à Euclide C. mémorise l’acte de ce voisin qui a sauvé son père de la noyade alors qu’elle avait 15 ans. La douceur du marbre, celle des pièces de bois évoquent le bruissement et le travail de l’eau. Construite en hauteur, elle s’inspire des chutes et en même temps, elle tend vers le ciel, vers l’air, vers l’espoir. Comme c’est le cas de la plupart des sculptures, les couleurs jouent dans le beige, tantôt plus brun, tantôt plus gris. Il s’en dégage un effet presque monochrome comme si la véritable couleur naissait du regard que l’on porte sur la pièce.
Ainsi, aussi, Fort comme la vie dans laquelle deux branches se fondent dans la pierre, semblant à la fois en jaillir et l’embrasser. Là encore la pièce jaillit du sol dans son désir d’envol. Si les pierres qui la composent ont été « flattées» pour en faire ressortir leur délicate beauté, près de la base, une section a été préservée dans son aspect naturel, plus rugueux, plus sauvage. L’intervention de l’artiste s’inscrit au sein même de la pierre, toujours respectueuse
de sa réalité première.
L’ensemble des cinq pièces regroupées sous le titre de La famille tend également vers le ciel mais, ce coup‑ci, les fin, branches aux formes amusantes (car l’humour est aussi présent dans le travail de l’artiste) supportent en leur sommet des pierres qui viennent les compléter sans que l’on sache au premier regard quelle partie est en pierre et laquelle est en bois. Ambiguïté qui vient rappeler que la nature est complexe et que pierre et bois sont souvent reliés.
Alors, lentement, on se promène entre les œuvres en se laissant guider par ce qu’elles nous inspirent. Nul besoin de connaître les arts visuels pour en apprécier la richesse. Le travail de Marie Hélène Allain n’est pas conceptuel mais intuitif et affectif. De la même façon qu’elle se laisse envahir par ce qu’elle ressent quand elle découvre et choisit une pierre, un bout bois, un morceau de métal, et que l’œuvre naît de la rencontre entre ces éléments et son imaginaire, de la même façon le regard du visiteur enveloppe l’œuvre qui résonne en lui laissant apparaître une émotion une réflexion sur la vie.
A voir absolument d’ici le 15 avril.
David Lonergan
L’Acadie Nouvelle, semaine du 30 mars au 5 avril 2001